Et si la clé de l’interdisciplinarité n’était pas la diversité des savoirs, mais la qualité de la collaboration ?
Penser la science comme un sport d’équipe
À l’heure où les grands enjeux scientifiques exigent des approches transversales, le mot « interdisciplinarité » s’impose comme un mantra. Pourtant, bien des projets échouent non pas par manque d’expertise, mais par déficit de coopération. L’article de Stephen M. Fiore, publié dans Small Group Research, interroge cette promesse de l’interdisciplinarité en l’abordant sous un angle original : celui des sciences du travail en équipe.
Fiore propose de mobiliser les apports de la psychologie cognitive, des neurosciences sociales et de la recherche sur les performances collectives pour comprendre comment faire fonctionner les équipes interdisciplinaires. Plutôt que de se limiter à une agrégation de disciplines, il suggère de penser l’interdisciplinarité comme une compétence collective qui se construit, se régule, s’apprend.
Le défi invisible des modèles mentaux partagés
L’un des concepts centraux de cette approche est celui de modèle mental partagé. Dans une équipe performante, les membres partagent une vision implicite mais convergente de la tâche à accomplir, des contraintes, des interdépendances et des contributions de chacun. Cette synchronisation cognitive permet des ajustements fluides, une coordination sans friction, une prise de décision rapide.
Dans une équipe interdisciplinaire, ces modèles mentaux sont souvent absents ou fragmentés. Chaque membre arrive avec sa propre culture, son vocabulaire, ses critères de qualité. L’absence de cadre commun peut freiner la collaboration, créer des malentendus, voire des conflits. Fiore montre que la construction délibérée de ces modèles partagés est l’un des leviers les plus puissants pour faire fonctionner la complexité.
Intégrer les savoirs, pas seulement les disciplines
Fiore insiste sur la différence entre juxtaposition et intégration. Une équipe composée d’un biologiste, d’un économiste et d’un ingénieur ne devient pas automatiquement interdisciplinaire. Elle le devient lorsqu’elle parvient à croiser les approches, à créer de nouvelles représentations, à produire un langage commun qui transcende les frontières disciplinaires.
Cette capacité d’intégration repose sur des compétences spécifiques. La gestion des conflits cognitifs, l’écoute active, la capacité à expliciter ses raisonnements, à se décentrer, à reformuler, deviennent aussi importantes que la maîtrise technique de son domaine. C’est une intelligence sociale appliquée à la science.
Former les scientifiques à la collaboration
Une des propositions fortes de l’article est de repenser la formation des chercheurs. Trop souvent, ils sont formés à exceller individuellement, à maîtriser leur champ, à publier seuls. Or, les défis contemporains nécessitent une capacité à collaborer sur la durée, à s’adapter aux autres, à apprendre en collectif.
Fiore suggère d’introduire dans les cursus scientifiques des modules sur les dynamiques d’équipe, la communication interdisciplinaire, la coordination collective. Il plaide aussi pour une reconnaissance institutionnelle du travail d’équipe, dans l’évaluation des carrières comme dans la valorisation des publications.
Conclusion : la science de demain sera sociale, ou ne sera pas
Cet article rappelle avec acuité que l’interdisciplinarité ne se décrète pas. Elle se construit, patiemment, à travers des interactions, des ajustements, des frictions créatives. Ce n’est pas seulement une ambition intellectuelle, c’est un défi organisationnel, relationnel, cognitif.
Penser la science comme un sport d’équipe, c’est reconnaître que l’innovation naît souvent entre les disciplines, mais qu’elle émerge surtout entre les personnes. Ce que Fiore nous propose, au fond, c’est de faire entrer la culture du collectif au cœur de la recherche. Pour que les équipes scientifiques deviennent non seulement des assemblages d’experts, mais des lieux vivants d’intelligence partagée.
🗞️ Par Luc Bretones, fondateur du groupe NextGen, institut de formation, coaching et conseil en management certifié qualiopi. Les équipes NextGen interviennent du comex, codir aux équipes opérationnelles pour améliorer leur performance et leur fonctionnement. Luc Bretones est chercheur en innovation managériale et co-auteur du livre "L'Entreprise Nouvelle Génération" qui s'intéresse aux dirigeants de 30 pays ayant mis en œuvre de nouvelles formes de gouvernance, réengagé leurs forces vives autour d'une raison d'être fédératrice ou encore expérimenté une innovation managériale majeure. Expert de l'innovation produit qu'il a dirigée pour le groupe Orange pendant plus de 6 ans, il se consacre désormais à ce qu'il considère comme la prochaine grande disruption : les nouvelles formes de management et d’impact.
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