Pourquoi les équipes performantes ne sont pas toujours les plus compétentes, mais toujours les mieux connectées
Comprendre le collectif au-delà des compétences individuelles
Depuis des décennies, la recherche sur la performance des équipes a trop souvent focalisé son regard sur les capacités individuelles, sur la qualité des décisions, sur les processus techniques. Mais qu’en est-il de ce qui relie les membres entre eux, de cette dynamique invisible qui fait qu’une équipe fonctionne ou dysfonctionne, indépendamment du talent de chacun ? C’est cette dimension collective que visent à explorer Driskell et Salas dans leur article fondateur publié en 1992 dans Human Factors.
À travers une méta-analyse rigoureuse couvrant plus de 70 études quantitatives, les auteurs établissent un lien clair et robuste entre la cohésion d’équipe et la performance. Ils ne s’arrêtent pas à des impressions ou des récits anecdotiques. Ils quantifient, comparent, objectivent les effets de ce lien dans des contextes variés, du monde militaire à l’industrie, en passant par les services publics et les simulations de crise.
La cohésion est une condition de performance, mais pas une garantie
Premier enseignement de l’étude, la cohésion n’est pas une qualité vague ou une ambiance agréable. Elle est un facteur mesurable de performance, avec une taille d’effet moyenne de 0,28 sur l’efficacité opérationnelle des équipes. Plus marquant encore, ce lien est particulièrement fort lorsque la tâche requiert une forte interdépendance entre les membres. Autrement dit, plus la collaboration est centrale, plus la cohésion devient stratégique.
Cependant, les auteurs nuancent. La cohésion ne produit pas ses effets de manière automatique. Elle agit lorsque les objectifs sont partagés, lorsque l’équipe est centrée sur un but commun, et surtout lorsque la cohésion s’accompagne de normes de performance élevées. Une équipe très soudée, mais centrée sur le consensus mou ou la convivialité au détriment de l’exigence, peut même voir sa performance décliner.
Trois dimensions essentielles de la cohésion
Driskell et Salas identifient plusieurs composantes dans cette notion de cohésion. Il y a la cohésion sociale, qui repose sur l’affinité interpersonnelle et l’attachement au groupe. Il y a la cohésion des tâches, qui désigne le degré d’engagement partagé envers les objectifs de l’équipe. Et il y a la cohésion perçue, c’est-à-dire la manière dont les membres évaluent leur propre degré de solidarité.
C’est cette dernière, la cohésion perçue, qui s’avère la plus prédictive de la performance. Ce n’est pas tant le lien objectif que le sentiment de lien qui compte. Ce que les membres ressentent à propos de leur collectif influence leur engagement, leur coordination, leur tolérance au stress et leur efficacité dans l’action.
L’équipe comme espace d’alignement et de régulation
Ce que cette recherche éclaire, c’est la puissance des dynamiques collectives dans des environnements incertains. Lorsqu’un groupe est confronté à la complexité, à l’urgence ou à la pression, ce ne sont pas uniquement les compétences techniques qui permettent de tenir. C’est la capacité à se coordonner sans friction, à se soutenir, à ajuster ses comportements en fonction des autres.
La cohésion devient alors une forme d’énergie de régulation. Elle réduit les malentendus, améliore la synchronisation, facilite la prise de décision rapide. Elle permet de maintenir la fluidité même lorsque les procédures échouent. Et cette énergie relationnelle ne peut être décrétée. Elle se construit, se renforce, se cultive dans le quotidien des interactions.
Conclusion : une équipe n’est pas la somme des talents, mais la qualité du lien
L’étude de Driskell et Salas, bien que datant de plus de trente ans, reste d’une pertinence saisissante dans le contexte actuel. Elle nous rappelle que la performance d’un collectif ne repose pas uniquement sur la compétence de chacun, mais sur la capacité de tous à fonctionner comme un organisme coordonné, solidaire et aligné. La cohésion n’est pas un luxe émotionnel, mais un levier opérationnel.
Former des équipes ne suffit pas. Il faut les accompagner pour qu’elles deviennent des collectifs agissants, dotés d’une identité, d’une culture, d’une mémoire partagée. Et cela passe par un leadership capable de créer les conditions du lien, de maintenir l’exigence dans la bienveillance, et de faire de la cohésion un facteur stratégique de réussite collective.
🗞️ Par Luc Bretones, fondateur du groupe NextGen, institut de formation, coaching et conseil en management certifié qualiopi. Les équipes NextGen interviennent du comex, codir aux équipes opérationnelles pour améliorer leur performance et leur fonctionnement. Luc Bretones est chercheur en innovation managériale et co-auteur du livre "L'Entreprise Nouvelle Génération" qui s'intéresse aux dirigeants de 30 pays ayant mis en œuvre de nouvelles formes de gouvernance, réengagé leurs forces vives autour d'une raison d'être fédératrice ou encore expérimenté une innovation managériale majeure. Expert de l'innovation produit qu'il a dirigée pour le groupe Orange pendant plus de 6 ans, il se consacre désormais à ce qu'il considère comme la prochaine grande disruption : les nouvelles formes de management et d’impact.
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